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  • 01


    « Je ne cèderai pas le premier, Nigel ! Laisse tomber !

    - Ya pas moyen ! »

       Bon sang ! Ce petit jeune ne va quand même pas me flanquer la pâtée au bras de fer ! Hors de question…

    « Azra ! Ton portable fait un boucan d’enfer dans les vestiaires ! »

    Surpris de l’appel de Michaël, je sursaute. Ce foireux de Nigel en profite pour étaler mon bras contre la table.

    « Oups ! Tricheur ! Je proteste en massant mon poignet contracté. Je suis trop vieux pour ces conneries maintenant.

    - Tu es mauvais perdant, Azra, ça craint ! Allez je file, Kaya va m’attendre !

    - Ciao ! »

       Il me fait un signe de la main. En souriant, je retourne vers le vestiaire jeter un regard sur ce traître de téléphone.


    Numéro inconnu… Pas de message… Je prends ma douche et quitte les vestiaires au moment où ça sonne de nouveau. Numéro toujours inconnu.

    « Oui ?

    - Monsieur BenKalish ? C’est le lieutenant Grangier… »

      Je ferme les yeux. Mon cœur ne s’emballe même plus dans ma poitrine tellement j’ai l’habitude. Ma petite sœur adorée de ce côté de la Méditerranée… Ma croix… Elle a dix-sept ans et s’est fait pincer une première fois avec des copains en train de fumer autre chose que du tabac, une deuxième fois en train de piquer des cosmétiques dans une boutique new age, une troisième fois aux côtés d’un dealer notoire dans une voiture volée… Tout ça parce que mon père est trop vieux pour gérer une adolescente en pleine crise et que sa bimbo de nouvelle femme est trop évaporée pour s’en occuper.

    - Qu’a donc encore fait Sabrina ?

    - Ce n’est pas exactement le problème cette fois, monsieur BenKalish… »

    Il semble embarrassé et je ne comprends pas.


    - Dites-moi…

    - Ce n’est pas Sabrina… Il vaudrait mieux que vous veniez au commissariat, c’est relativement urgent…

    - Dois-je contacter un avocat ?

    - Non, cela ne vous concerne pas directement, mais… il faut que vous veniez !

    - Bon j’arrive, je suis à cinq minutes à pied. »


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  • 02

        Un peu inquiet tout de même, je me dirige vers le commissariat en rêvant de mes prochaines vacances chez ma mère, à Casablanca.
    - Monsieur BenKalish ! »
        Le lieutenant Grangier m’accueille avec une mine sombre en me tendant la main. Je la serre machinalement.
    « Que se passe-t-il ?
    - J’ai besoin de vous à la morgue, pour reconnaître un corps… »

    Je chancelle, me retiens au mur.
    « Qui ?
    - C’est bien le problème, Monsieur BenKalish… Cette inconnue ne portait aucun papier d’identité sur elle, si ce n’est une note avec un numéro de téléphone et un prénom… Le vôtre monsieur BenKalish que j’ai immédiatement reconnu grâce à Sabrina. »
        Une angoisse sans nom étreint mon cœur tandis qu’il m’observe avec attention. Il cherche peut-être à étayer des soupçons mais une seule question résonne dans mon cerveau. Inconnue ou inconnu ? Je n’ose pas demander.
    « Emmenez-moi vite ! » je souffle et il me fait signe de le suivre.
        Nous montons dans une voiture dont la sirène me vrille les oreilles. Si un toubib me prenait la tension, je suis sûr que son appareil exploserait. Grangier ne dit rien, ne me regarde pas. J’ai peur.

        Nous arrivons enfin à l’hôpital. Comme un zombie, je le suis à travers les couloirs aseptisés. Je ne remarque même pas que trois autres flics nous suivent. Il ouvre une porte, le légiste l’accueille avec un grand sourire puis se tourne vers moi.

    D’un geste de la main, il désigne une table, une horrible table d’examen avec un corps recouvert d’un drap. J’ai envie de m’enfuir, de tomber à genoux. Je tremble quand je m’approche. Je baisse lentement les yeux quand le docteur soulève le drap. La chevelure longue et blonde ne me dit rien. Mais ce regard noir figé sans vie… Ce visage… La fleur tatouée sur le sourcil…

    Mon cœur s’arrête de battre.
    « Nooooon ! »
        Un cri vrille mes tympans, et ce n’est qu’en basculant doucement vers le sol que je comprends que c’est moi qui l’ai poussé. Pendant la chute qui me paraît interminable, les souvenirs se télescopent devant mes yeux.

     

     


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  • 03

        J’avais tout prévu ce vendredi-là, tout était parfait dans notre petit appartement. Dans la cuisine, où tout était soigneusement rangé, attendait notre plat fétiche, le curry de porc aux ananas, sur une recette que nous avions créée ensemble. Le champagne était au frais, le vin rouge à température, les bougies prêtes à être éclairées dès que le cliquetis familier de l’ascenseur annoncerait son arrivée. Et au fond de ma poche, le solitaire brillait de tous ses feux. Tous mes espoirs…


        Tout mon désespoir…
        Elle n’est pas rentrée ce soir-là. Ni le lendemain. Son portable était resté sur l’étagère de la bibliothèque. Les flics m’ont envoyé balader quand j’ai signalé sa disparition.
        Ce n’est que le surlendemain matin qu’elle est réapparue, blême et silencieuse. Il était exactement 6h45, mon réveil venait de sonner. J’étais une loque, mal rasé, les yeux injectés de sang à cause du manque de sommeil, vautré sur le sofa.


        J’avais tout laissé en plan, la table mise pour les grands jours, les bougies… L’écrin en plein milieu… Elle a tout regardé d’un œil glacé, indifférent. Ce n’était plus la Morgane que je connaissais. Que je croyais connaître…
    « Morgane ! » j’ai murmuré d’un ton plaintif, sans doute pitoyable avec le recul.
    Mais je n’ai jamais su cacher mes émotions. Tout le monde lit toujours en moi comme dans un livre ouvert.
        Elle s’est tournée vers moi, son regard tellement méprisant que je ne l’oublierai jamais.

    Elle a écrasé sa cigarette dans le cendrier.
        Je ne peux plus sentir l’odeur si caractéristique de ces clopes mentholées sans la chercher du regard.    
        Puis ses mots sont venus lacérer mon cœur. Quatre ans après, je me croyais guéri. Mais la blessure est encore à vif tandis que les mots résonnent dans ma tête juste avant qu’elle ne touche le sol.
    « Je te quitte Azra. Je pars, car je ne t’aime pas, je ne t’ai jamais aimé. Ta compagnie était agréable un moment, et j’avais besoin d’un compagnon. Mais c’est terminé… »
        Et elle a rassemblé ses affaires en un rien de temps, sans rien ajouter, sans me regarder. Et elle a disparu.


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  • 04

        Lorsque je reprends mes esprits, je suis allongé dans le couloir loin d’elle et le premier visage que j’aperçois penché sur moi est celui du médecin-légiste. Je ne peux réprimer un mouvement  de recul qui l’amuse. Il me tend un sucre et se tourne vers Grangier.
    « Une simple hypoglycémie qui s’additionne au choc… Nourrissez-le un peu, et je vous autorise à mener l’interrogatoire. »   
        Encore groggy, je me lève en laissant le sucre effacer le goût de bile qui empâte ma bouche. Grangier me ramène au commissariat, me tend un paquet de biscuits et s’installe derrière son ordinateur, l’air compatissant. Je me demande juste si c’est pour me mettre en confiance et me mettre au trou juste après.
    « Dites-moi tout ! »


    La tête entre les mains, je lui raconte tout ce que je sais de Morgane, depuis notre rencontre à l’université, jusqu’à cette journée fatidique où elle est partie.
    « Et vous n’avez eu aucune nouvelle depuis ?
    - Aucune.
    - Et sa famille ?
    - Il ne lui reste qu’un cousin en France, Calvin Simon. A l’époque il commençait une école d’ingénieur… Il doit être en  dernière année je pense… Je dois le prévenir !
    - Non, nous allons le faire, nous et lui demander de l’identifier lui aussi. Il est de la famille alors légalement… Juste une dernière chose… Où étiez-vous hier entre 16 et 21 heures ? »
        J’en étais sûr. Si la sœur est délinquante, pourquoi le frère ne serait-il pas un assassin, qui aurait mûri sa vengeance pendant trois longues années… Je retiens la remarque cassante qui me brûle les lèvres et je réponds poliment en me remémorant ma journée de la veille.
    « J’avais cours jusqu’à 16h. J’ai dû quitter le lycée vers 16h30 après avoir discuté un peu en salle des profs. Puis après j’ai rejoint un copain à la salle de sport : on a fait une partie de squash. Puis je suis rentré chez moi, il devait être 19h… »
        Il note tout ce que je lui dis, le bruit du clavier de son ordinateur résonne dans mon crâne.
    « Vous pouvez disposer, monsieur BenKalish.
    - Calvin est un gamin, je m’occuperai des obsèques, lorsque… vous n’aurez plus besoin du corps…»


        Il hoche la tête, me serre la main puis murmure enfin « Toutes mes condoléances... » avant de m’accompagner à la porte. Je reste debout quelques instants devant le commissariat. J’ai froid mais je ne ressens plus rien. Ma gorge se serre de nouveau et sans que je le décide consciemment, mes pas se dirigent vers la seule personne de la ville que je peux déranger à l’improviste


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