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  • 01

    Elle courait.
    C’était inutile, elle le savait. Cela faisait maintenant une bonne dizaine de minutes qu’elle avait semé ses poursuivants, mais elle courait. Grisée par l’adrénaline que ce vol stupide avait fait monter dans ses veines.
    Un collier. Sans valeur. Elle l’avait pris. Juste parce qu’il était orné de deux petites ailes sur le côté. Alors elle avait commencé à courir. Quand elle avait entendu des voix la héler. A courir plus vite. Priant pour que ces ailes lui permettent enfin de décoller. Loin d’ici. Comme si elle se rapprochait par cette course de cet envol dont elle rêvait... Loin des vapeurs opaques qui s’infiltraient dans ses poumons. Dans son corps. La plombant du poids de la fatalité.
    Elle trébucha.
    Sur des barres de fer et de béton qui jonchaient le sol et que la fumée rampante dissimulait.
    Elle resta ainsi, étourdie. Elle était en bas. Tout en bas. Dans la crasse, le bruit et le charbon.
    Elle joua quelques instants avec le bijou qu’elle avait accroché à son cou. Ses ongles noirs et ses doigts sales de cette poussière permanente qui collait la peau lui arrachèrent une larme. La terre du bas qui voulait toucher la terre du haut.
    Elle ne verrait jamais le ciel.
    - Tu t’es fait mal ?
    C’était une voix d’homme. Elle redressa la tête.


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  • 02

    Il se tenait debout devant ce mur d’affiches... Presque lui-même une affiche. Vêtu comme les icones de ces images qu’elle collectionnait. Son sourire tordant l’un des coins de ses lèvres tandis qu’il lui tendait une main amicale pour l’aider à se relever.


    - T’es pilote ? demanda-t-elle, les yeux soudain constellés d’étoiles.
    Il éclata de rire.
    - Te moque pas de moi ! J’ai pas l’habitude de voir des gars comme toi !
    - Machiniste, sur l’Albatros. Mais en effet, il m’arrive de piloter... Parfois...
    C’est là qu’elle se jeta sur lui.
    - Emmène-moi avec toi ! supplia-t-elle.
    Il eut un mouvement de recul et décrocha les doigts qui s’étaient noués sur ses vêtements.
    - Ca ne va pas ? Je t’ai juste aidée à te relever car tu étais tombée. J’ai pas envie de d’adopter ! Suis ton chemin. Bonne journée, demoiselle.
    Et il la planta là. Sans se retourner. Il traversa plusieurs rues, contourna de nombreux bâtiments, et ce ne fut qu’une fois à la décharge, à l’entrée du dirigeable, qu’il la vit. Juste derrière lui.
    Elle l’avait suivi.
    - Emmène-moi à travers les nuages, demanda-t-elle une nouvelle fois.
    Il l’empoigna vivement par le bras et l’entraina derrière un tas de palettes et de malles qui attendaient d’être chargées à bord.
    - Je ne veux pas de toi ! Rentre chez toi !
    - Emmène-moi à travers les nuages...
    - Je ne t’emmènerai nulle part. Bon sang, tu me mets dans l’embarras là ! Je ne peux pas m’occuper de toi... Je suis déjà dans une situation assez compliquée sur l’Albatros, alors si en plus je dois commencer à expliquer qui tu es et ce que tu fais là au Vicomte...
    - Emmène-moi à travers les nuages.
    Il ne se débarrasserait pas d’elle.
    Il soupira.


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  • 03

    C’était féerique. Tout était si propre, si brillant dans la cabine dans laquelle il l’avait poussée. Il lui semblait qu’elle n’aurait pas assez d’une vie pour admirer tout ce qui y figurait, tout ce qu’elle voyait. Les sensations des étoffes. Des objets qu’elle sentait sous les doigts qu’elle faisait courir sur les meubles qui l’entouraient.
    - Arrête de toucher, tu veux. Tu vas tout pourrir. Tu es sale comme un cochon.
    - Je suis une dame, se piqua-t-elle, tu pourrais au moins me respecter comme tel.
    - Enlève tes pattes de là ! bondit-il en lui arrachant une fiole de cristal des mains, je prends déjà des risques à te faire monter ici, alors n’en rajoute pas. Une dame, tu parles ! Tu en as déjà vu une ? Si tu veux rester, il va falloir t’arranger un peu. Ta toilette laisse franchement à désirer.
    - Moi j’vis pas dans des vaisseaux au-dessus des autres à respirer d’l’air pur.
    - Et y a pas que la toilette qu’il va falloir changer, si tu veux espérer que le vicomte t’accepte ne serait-ce qu’un quart de demie journée à bord, souffla-t-il, comment tu t’appelles ?
    - J’me nomme Winona. Winona Faucon.
    - Elros Fécamp. Maintenant que les présentations sont faites, déshabille-toi. Tu empestes à des kilomètres à la ronde.
    Elle poussa un cri suraigu et outré. Il la bâillonna fermement de sa main.
    - Tu es complètement folle ? Je t’ai dit que je prenais des risques à te faire monter ! Je ne vais pas te regarder. Je ne suis pas un voyeur. Déshabille-toi et va te laver ! Je t’ai fait couler un bain derrière le paravent. Et frotte bien ! Ne m’oblige pas à venir le faire.
    Elle ne cilla pas. Les mains fermées en croix sur son corsage pour refuser par le langage du corps ce qu’elle ne pouvait exprimer par les mots.



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  • 04

    Il renifla les cheveux qui débordaient du béret élimé avec une grimace. Lorsqu’il le lui arracha, le tout tomba d'une seule masse dans le dos de la jeune femme.
    Il fouilla plusieurs tiroirs avant de dénicher des flacons et des onguents qu’il déposa sur le parquet.
    - Assied-toi, ordonna-t-il en désignant le sol.
    - Tu vas pas me déshabiller hein ? Je suis une honnête fille moi ! Je veux voler, c’est vrai, mais j’suis pas prête à tout non plus pour...
    - Assied-toi Winona, répéta-t-il sèchement.
    Elle s’exécuta. Avec une expression de contrariété mêlée d’inquiétude sur le visage. Voilà qu’elle était bien maintenant. Ca lui apprendrait à suivre n’importe qui dans les rues, simplement parce qu’il porte des habits de pilote.
    S’il la touchait, elle hurlerait. Juré. Elle hurlerait. Et elle le mordrait. Jusqu’au sang !
    Elle sentit ses mains courir dans ses cheveux. Il y avait presque de la tendresse dans ses gestes. Winona s’adoucit légèrement.
     
    - Qu’est ce que tu fais, Elros ?
    - Je regarde si tu as des poux.
    Elle se redressa d’un bond et lui envoya une claque monumentale dans le même mouvement.
    - Goujat ! Comment oses-tu parler à une dame sur...
     Elle s’interrompit devant la mine concentrée qu’il affichait. De toute évidence, non seulement il n’avait eu cure de la gifle, mais en plus, il n’écoutait strictement rien.
    Il la saisit par son écharpe et l’assit vigoureusement dans un fauteuil posé face à un long miroir.
    - Tu ne veux pas te laver ? Soit. Mais tu ne m’empêcheras pas de te décrasser le visage, petite souillon.


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