Un sourire narquois fleurit sur les lèvres du receleur en voyant le pickup familier freiner franchement dans l'alcôve qui servait de parking. Cette fois, elle se gara sciemment devant la porte. Il la connaissait si bien. Un peu de moquerie, un zeste de défi... La démarche assurée de la jeune femme le conforta dans son idée : elle  ramenait sa revanche sur ce traitre de Tonio.
« Prépare-toi à aligner les crédits, Luigi ! » lança-t-elle en guise de salut.
    Elle portait une unique caisse fermée, plutôt lourde.
« Je demande à voir, ragazza !
- Oh mais tu vas voir, Luigi, juste voir... Et si je ne suis pas satisfaite de l'offre, tu sais où j'irai ensuite... »
    Il resta impassible. Hannah posa son butin sur le sol.
« Un pommier, Luigi...

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Il sursauta.
- Tu bluffes, ragazza !
- Regarde par toi-même! »
    Le receleur souleva le couvercle et son visage se tendit. Hannah lut de la convoitise dans son œil unique. Sa main se crispa sur le pistolet dissimulé à sa ceinture.
« N'y pense même pas! » prévint-elle. « Je te connais trop bien. »
    Il leva les deux mains en signe d'apaisement.
« Alors, ton offre ?
- Je veux d'abord voir s'il est viable...
- Bordel, Luigi ! je ne t'ai jamais apporté de marchandise en mauvais état que je sache !
- Mais tu ne m'as jamais apporté de marchandise de ce prix-là non plus! »
    Précautionneusement, il sortit l'arbuste de sa boîte. Les yeux bruns d'Hannah ne le lâchèrent pas tandis qu'il faisait ses vérifications.
« 250 000 ! »
    Les lèvres d'Hannah se plissèrent sur un sourire glacial.

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« Remets-le dans la caisse. J'ai contacté Tonio avant de venir. »
    Luigi jura.
« Sale petite garce !
- J'ai été à bonne école, espèce de salopard. Alors, je le ramène à Tonio ?
- Combien il t'en propose ?
- Ça ne te regarde pas.
- 300 000 ! »
    Elle se pencha pour remettre l'arbuste dans sa caisse. Un léger mouvement aux confins de son champ de vision la fit réagir instantanément. Luigi se retrouva sur le dos, le pistolet sur la tempe.
« Il n'y a pas que l'art de récolteuse que tu m'as enseigné, vermine !
- C'est bon ragazza ! C'est bon ! Ton machin vaut 800 000 crédits...
Elle eut un bref geste de recul en observant son propre bras avant de se ressaisir.
- Lève-toi ! »
    Son glock 17 toujours braqué sur lui, elle l'accompagna au terminal. Elle ne rangea son arme qu'une fois la transaction validée. Elle ne lui en voulait même pas et il le savait : c'était le jeu, surtout quand des sommes pareilles étaient dans la balance. Il se débrouillerait sans doute pour doubler sa mise d'une façon ou d'une autre.

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Luigi se pencha vers le pommier, presque tendrement. Lorsqu'il se redressa, la jeune femme était toujours là.
« J'ai autre chose, Luigi. »
Elle sortit une bouture de son sac.
« Sais-tu de quoi il s'agit ? »
    Il jeta un œil distrait sur la branche, tout occupé à mettre à l'abri sa nouvelle acquisition.
- Bah, une mauvaise herbe ?
- Rah, je sais même pas pourquoi je te montre ça, Luigi. T'y vois que dalle de toute façon !... Si c'était une mauvaise herbe, je la connaîtrais ! Je n'ai jamais vu des feuilles pareilles, aussi finement dentelées. »
    Il prit délicatement la tige et caressa la feuille du bout du doigt.
« OK ragazza. J'en sais rien, c'est vrai... Un machin exotique ?
- Ça poussait juste à côté du pommier...
- Ça n'empêche pas... »
    Il fit tourner la tige plusieurs fois dans sa main, étudiant sa couleur sous la lueur pâle du néon, essaya sans succès de reconnaître une fragrance.
« Il te faut un spécialiste pour ça, ragazza. Un vrai botaniste. J'ai un contact qui me doit un service... »
    En sortant de l'entrepôt, Hannah inspecta son bras dans tous les sens. Le palpa. Le toucha. La plaie encore ouverte la veille avait disparu.

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« Non, je suis désolé, je n'en ai pas la moindre idée... »
    Hannah secoua la tête. C'était déjà la cinquième personne en dix jours qu'elle voyait. Le contact de Luigi l'avait envoyé chez un autre receleur, qui l'avait dirigée vers une université en reconstruction. Là aussi, elle avait fait chou blanc.
« Votre seule solution, c'est Max Stones. Si lui ne sait pas, personne ne saura. C'est l'un des plus grands spécialistes de la Green Corp. Il bosse au Centre. »
    Hannah siffla. Le Centre, mazette ! Là où toutes les décisions politiques se prenaient... Là où tous les animaux, les plantes étaient revendus... La où la farine était fabriquée puis transformée... Elle s'était toujours tenue loin des organisations officielles, mais cette plante inconnue l'intriguait tant qu'elle était prête à faire une entorse à ses règles. Et grâce au pommier, elle avait un peu de temps devant elle !
    Malgré ses craintes, elle put pénétrer sans difficulté dans le Centre. Dès qu'elle eut accepté de  laisser son arsenal au vestiaire. Ils ne plaisantaient décidément pas avec la sécurité dans le coin ! Ses échantillons végétaux lui ouvrirent toutes les portes. Guidée par un soldat armé jusqu'aux dents, elle pénétra dans une grande serre. L'atmosphère saturée d'humidité lui serra la gorge. Elle était au Paradis.

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Les yeux grands ouverts, elle avança lentement dans les allées, admirant un foisonnement de plantes tel que la nature n'en connaissait plus. Une ronce couverte de fruits l'attira comme un aimant. Des mûres? Des framboises? Elle tendit la main.
« A votre place, je ne m'y risquerai pas. »
    Elle sursauta, rouge de honte. Un jardinier d'une trentaine d'années la toisait avec amusement. Mignon. Bellâtre, rectifia-t-elle.
« Elles vous vident les boyaux en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire ! »
    L'inconnu éclata de rire.

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-Vous trouvez ça drôle ?
- Très.
Ouais, non, en fait fadasse et sans aucun intérêt, se ravisa-t-elle. Comme si elle lui avait demandé son avis à ce piège à minettes.
- Bon, vous n'avez rien de mieux à faire que vous payer ma tête ? Votre patron, il est où ? J'ai des questions à lui poser. C'est urgent. Je bosse, moi ! »
    Un sourire presque enfantin se profila sur les lèvres du jardinier.
« Mon patron ?
- Le docteur Stones, lança-t-elle avant de réaliser sa bévue. Et merde ! C'est vous je parie !
- A votre service ! se courba-t-il irrespectueusement. « Allez, suivez-moi. Vous me raconterez votre affaire au labo. J'ai une expérience capitale en cours.
- Mais...
- Je bosse, moi ! » rétorqua-t-il sans l'attendre.
    Agacée, la jeune femme courut derrière lui. Sans lui prêter attention, il se lava les mains, enfila une blouse et des gants, et sortit un plateau contenant une dizaine de boîtes de Pétri d'une étuve.
« Je...
- Pas maintenant ! » coupa-t-il en se penchant sur un microscope.

 Une par une, il observa les coupelles, en rejeta la moitié sur le  côté. L'avant-dernière lui arracha un cri de joie.
« Regardez ! » proposa-t-il.
    Elle jeta un œil dans la lentille, puis releva la tête l'air dubitatif.
« Et?
- Elle a germé ! Vous êtes aveugle ou quoi ! Là, à droite, vers le haut ! Vous ne voyez pas ?
- Et c'est pour ça que vous me faites perdre mon temps ? Un vague machin qui pousse ?
- Ça s'appelle une racine, ignare, marmonna-t-il entre ses dents.
    Dire qu'il l'avait presque trouvée charmante de premier abord. Quelconque finalement. Fadasse. Sans intérêt.
- Eh bien, à votre tour de me faire perdre mon temps, demoiselle. Montrez vite ce pourquoi vous êtes venue, qu'on en finisse. »
    Elle haussa les épaules.
« J'ai trouvé ça ! Je ne connais pas, et jusqu'à présent, personne n'a été fichu de me dire ce que c'était. Ça vous parle ? »
    Il dissimula sa surprise derrière un visage impassible en scrutant le rameau qu'elle lui tendait.
« Alors ? s'impatienta Hannah.
- Revenez dans une dizaine de jours. » répondit-il sans même prendre la peine de relever la tête.
    Elle sursauta.
« Vous vous foutez de moi ? Dix jours ? Et je fais quoi moi, pendant ce temps ?  
- Cherchez-vous un métier honnête ! » envoya-t-il, alors qu'il avait déjà atteint la porte.
    Sidérée, elle le vit disparaître sans se retourner, tout absorbé qu'il était par l'échantillon.
« Mais il me l'a piqué ce sale con ! » maugréa-t-elle. « Ah mais ça va pas se passer comme ça, mon coco ! Attends-toi à me voir rappliquer tous les jours jusqu'à ce tu me le rendes... Et ça a intérêt à valoir le coup ! »
    Elle quitta le laboratoire en se surprenant bougonner : « Fadasse ! Piège à minettes, va ! »

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A la première heure, Hannah pénétrait dans le Centre, histoire d'aller faire le pied de grue et de lui montrer à ce sale petit...
    « Vous tombez bien, faut qu'on parle ! » surgit Max en la tirant par le bras sans plus de cérémonie.

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« Euuuhhhh... Bonjour docteur Stones... » se laissa-t-elle trainer trop stupéfaite pour réagir. Il la poussa dans son bureau et prit un bloc-notes.
« Bon, votre trouvaille, là, c'est un miracle! Un sacré bon Dieu de miracle! commença-t-il sans lui adresser le moindre regard. D'abord, la feuille. Rien que pour la feuille, ça vaut le...
- BONJOUR DOCTEUR STONES ! hurla-t-elle, furieuse d'être ignorée.
- Ah oui, bonjour...
- Et ça vaut quoi ?
- Pardon ? s'étrangla Max étonné de voir qu'elle ne partageait pas son enthousiasme débordant.
Il s'arrêta net.
- Ça vaut le détour, se piqua-t-il, mi-figue mi-raisin.
- Et moi je demande : ça vaut combien, monsieur le scientifique ? Parce que tout votre baratin là, je n'ai pas le temps de l'écouter, ce qui m'intéresse c'est...
- Votre petite personne, hein ? C'est ça, envoya-t-il un brin déçu. Je n'ai aucune idée de ce que ça vaut. Personne n'a jamais vu cette plante avant vous et moi et la moitié de la ville à laquelle vous l'avez montré sans succès. Par contre ce que j'en ai observé cette nuit, ça vaut bien plus que de l'argent. Mais ça, vous avez un ego trop énorme pour tenter de le comprendre ou même prendre seulement la peine de l'écouter. »
    Hannah hoqueta de stupeur. Bien plus profondément vexée que ce qu'elle osait l'avouer.

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- Laissez-moi vous dire, Docteur Stones...
- Vous m'avez forcé hier à vous écouter, m'interrompant dans une tâche cruciale qui fait avancer les progrès, la recherche et peut-être même l'avenir de l'humanité, vous m'avez limite ri au nez pour m'obliger à m'occuper de VOUS, de VOTRE découverte. Alors aujourd'hui c'est vous qui allez m'écouter. »
    Et il l'assit sèchement sur une chaise pliante qui prenait la poussière dans un coin. Trop interloquée pour riposter, elle se surprit à obéir.
« Ah, se rasséréna-t-il, bien, où en étais-je... »
    Max revint vers la table où il avait posé l'échantillon qu'Hannah lui avait laissé la veille et reprit le fil de son discours.
« Donc, bonjour. Les feuilles ont une propriété dont même vous pourrez rapidement comprendre l'intérêt. Elles semblent filtrer l'air ambiant, elles transforment l'ozone en oxygène. Je vous épargne la réaction chimique, dont je ne comprends pas moi-même tous les tenants et les aboutissants, mais bon au final, autour de ce petit miracle, on obtient de l'air respirable sans masque et de l'eau potable! »

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